LES NUITS FAUVES
LIFELINE
WALKMAN
PARADISE
1992
Réalisé par Cyril COLLARD
Produit par Nella BANFI
Nomination aux CÉSAR – Meilleure Musique de Film – 70000 albums vendus
Auteur-Compositeur : René-Marc BINI
© Polygram Music
Jean-Michel GROIX : Batterie
René-Marc BINI : Chant, Piano, Orgue, Chant, Cello, Arrangements
Cyril COLLARD : Chant
Jean-Paul LONG : Guitares
Michel PETEAU : Guitares
Roberto BRIOT : Basse
Michael RUSHTON : Batterie, Percussions
Bertrand BURGALAT : Arrangements de “Paradise”
Crédit photos : Bernard FAU
LES NUITS FAUVES – BANDE ANNONCE (qualité pourrite 🙂 )
Le frère
Cyril parlait d’une enfance “lisse et blanche”. Je le comprenais tant.
Nous avons traversé ensemble les épisodes d’une adolescence emmurée dans des desseins d’avenirs déjà tracés, dans une société élitiste que nous vomissions dans nos rêves.
Où, de plus, l’élite nous était promise ! Ces perspectives n’étaient rien pour nous.
Au contraire, elles nous accaparaient au moment où nous devions cerner notre malaise. Où chacun devait se trouver.
Ce moment fut donc différé. Jusque là, notre révolte consistait à conduire des voitures le plus vite possible !
Tu parles d’une rébellion ! Mangés tous crus par la machine à compétition ! Des fers de lance du capitalisme, oui !
Pour Cyril, tout ce qui pouvait enrayer cette effrayante mécanique (car bien trop “polie”) fut bon.
La découverte de son corps (stupidement séparé de l’”esprit” dans notre bain culturel) fut un étendard qu’il brandit haut et fort.
Celle des disciplines artistiques aussi, loin des élèves-ingénieurs des Grandes Écoles, ces “bourreaux de l’incertitude, ces Landru du doute” (Cyril écrivit ces mots dans le journal de l’Institut du Nord, école d’ingénieurs qu’il quitta brutalement en cours d’année ; il venait de naître…).
Ma prise de conscience fut plus lente, j’étais plus mesuré car plus timide.
Mais nous partagions profondément le même rejet de la civilisation qui était la nôtre.
Ceux qui n’y virent qu’une rébellion adolescente ne nous comprirent pas.
C’est cette essence qui nous unissait.
Cyril fut une chance pour moi.
À un moment où je n’avais pas confiance en moi, il fut la preuve tangible que chacun pouvait tracer sa propre voie.
Un point de repère que, au fil des années, je ne perdis jamais des yeux.
1ers courts métrages
Naturellement, il me proposa de faire la musique de son premier film, “La Baule-Dakar”, film officiel en 35 mm de la course de voile du même nom).
Puis il y eut “Grand Huit”, son premier court-métrage de fiction.
L’occasion pour moi de participer pour la première fois à la logistique d’un tournage (ici à la Foire du Trône).
Et d’aimer cette effervescence.
Celle que je retrouvais aussi en studio.
Une “prise de confiance” indispensable.
La découverte de la lucarne par laquelle j’allais pouvoir embellir ce monde que je n’aimais pas (en attendant la baie vitrée… qui est encore en construction !).
Le bateau
Mais ce qui nous unissait le plus était ces incessants voyages en voilier.
Cyril était skipper depuis l’âge de 15 ans, lui et ses parents m’ont fait découvrir la mer.
Par la suite (jusqu’en 90), nous ne cesserons jamais de partir (jusqu’à 6 mois d’affilée…).
Pour mieux revenir bien sûr. Le plus souvent, nous partions à deux.
Corse, Sardaigne, Baléares, Espagne, Maroc, Italie, Sicile, Tunisie, Lipari, Malte, Jerba, Kerkennah, îles Égades, Grèce, détroit de Corinthe, Les Cyclades, Turquie, Bodrum, Crête, détroit de Messine, Bouches de Bonifacio, … départs, retours, calmes plats, tempêtes, invitations, rencontres… en tout presque 3 années de vie dans le soleil, le vent et le sel, une bouée de sauvetage, toujours à portée de main, loin des errances nocturnes de la ville grise : Paris !
Curieusement, nous filmions et photographions peu pendant tous ces voyages. On écoutait beaucoup de musique. On en faisait un peu aussi, l’occasion pour moi de découvrir la guitare. En fait, nous n’avions pas du tout les mêmes goûts musicaux ! Je crois que je n’étais pas encore sec. Quand je pense que je disais ne pas aimer le reggae !
Courts métrages suite
Il y eut ensuite “Alger la Blanche”.
Homosexualité, violence dite “urbaine”, beurs en dérive entre deux cultures.
Rapports à l’Afrique du Nord, entre phantasmes et réalité.
Cyril y parlait de tout ce qui lui tenait à coeur.
Logiquement, je n’ai pas fait la musique, Cyril l’a confiée à Carte de Séjour,
le premier groupe de Rachid Taha (pour qui il fera dans la foulée le clip de “Douce France”).
J’ai quand même participé au film : je joue le rôle d’un flic (sous les ordres de… son père) !!
C’était bien fait pour moi, j’avais qu’à avancer un peu plus vite !
Le cordon ne rompt pas
Au fil des années, on continue à se voir régulièrement.
Je suis absorbé par mes musiques de films.
J’ai abandonné mon statut de professeur, qui commençait à me peser sérieusement.
Nous nous lançons dans une nouvelle aventure : écrire un scénario ensemble, autour de deux personnages principaux qui… nous ressemblent étrangement. Évolutions parallèles de deux trajectoires bien différentes, mais qui ne coupent jamais les ponts.
J’apprends à construire autour du vécu, nous partageons aussi cette notion de la “fiction”. Nous parlons enfin sans gêne. Un jour d’écriture, je lui dit qu’en mathématiques “deux droites parallèles ne se coupent qu’à l’infini”.
Il retiendra toujours cette formule, l’écrivant même sur la couverture de notre scénario.
Comme souvent, il n’y aura pas de véritable suite à ce travail. Ou plutôt si : certaines scènes écrites par Cyril sont intégralement reprises dans son futur livre : Les Nuits Fauves ! Pas de malaise, je sais depuis longtemps que, vu sous un certain angle, tout n’est qu’un perpétuel recyclage. L’image de l’artiste touché par une inspiration subite (de nature quasi-divine) me semble soudain si grotesque !
Nous sommes happés par Paris, la ville grise que nous n’aimons pas. Et pourtant nous ne parvenons pas à la quitter. Charme ou engourdissement ? Rétrécissement du champ de la lucidité ? Je ne sais. Probablement.
Heureusement, nous continuons à partir en bateau, un mois ou deux par ci par là. Mais maintenant, c’est moi qui extirpe Cyril de la ville-pieuvre (mazoutée). Parfois même je l’engueule carrément !
Immanquablement, lorsqu’on sera en mer, toujours surpris par la force et la fulgurance des mutations qui s’opèrent en nous, on se demandera pourquoi on ne partait pas plus souvent. J’ai une idée de réponse.
Je crois qu’on voulait vivre plusieurs vies à la fois (je ne devrais peut-être pas utiliser l’imparfait…)
Quelque temps après, Cyril tourne un épisode de la série Le Lyonnais : “Taggers”.
La série un peu endormie prend un gros coup de speed, qu’on en juge par le casting : Kader Boukhanef et Pierre Santini certes (les héros “récurrents” comme on dit), mais aussi Joey Starr (NTM), Marco Prince (FFF) et les leaders d’autres groupes (Assassins entre autres…), Guillaume Depardieu dans son premier rôle…
Le résultat est franchement excellent.
Si on veut parler des banlieues, le mieux est quand même de prendre des gens qui y vivent, non (à l’exception de Depardieu peut-être…) ?
Les techniciens de France 3, un peu assoupis par la routine des fictions consensuelles, s’en souviennent encore je pense !
Je n’ai pas du tout participé à cette aventure.
J’enregistrais pour Michel Andrieu qui venait de tourner Firing Squad au Canada, l’un de ses meilleurs films (avec Robin Renucci).
Studio Guillaume Tell, orchestre symphonique, chanteur contre-ténor (Pascal Bertin). Le kif ! Quelques jours après, j’ai fait écouter le résultat à Cyril. Il avait beaucoup aimé. Son adhésion était importante pour moi. Comment dire, je sentais qu’il y avait un degré de véracité dans l’expression artistique auquel il avait un accès direct.
Et comme il était incapable de mentir…
Les Nuits Fauves
Le livre
Il y a d’abord eu le livre. Je l’ai découvert lorsqu’il était fini.
Je crois que Cyril l’a écrit assez vite.
Il n’a pas tout de suite voulu en faire un film, il pensait que le livre ne s’y prêtait pas.
Il travaillait sur d’autres projets de films, dont une adaptation du Retour de Casanova, dont j’ai retrouvé une version qu’il m’avait donnée à lire (excellente).
Le moins qu’on puisse dire est qu’il a fini par changer d’avis !
Un beau jour, il s’est donc décidé à attaquer les producteurs.
Les mondanités ne le dérangeaient pas.
Je crois qu’au contraire, ça l’amusait plutôt de jouer les trouble-fêtes dans les salons (je l’ai moult fois vu sortir à 4 pattes de je ne sais quel palace ou restau chic en imitant la poule ou le cochon… mais je crois qu’il le faisait surtout quand on étaient ensemble).
Le personnage de Marc
Il y a eu 4 mois de casting.
Tout ça a ensuite été relaté (après le succès naturellement) en long, en large et en travers dans de remarquables revues culturelles.
Pour ma part, je pensais que personne ne pouvait me prendre mon rôle, puisque c’était le mien !
Mais je me trompais peut-être. J’ai fait quelques séances de “coaching”, comme on dit, avec Corine Blue.
Histoire d’être sûr que, devant une caméra, j’étais encore moi-même.
Ce qui fut le cas semble-t-il, puisqu’on m’a gardé.
J’ai tout de même retrouvé un fax que m’a envoyé Cyril lorsqu’il entamait le tournage au Portugal, c’est assez rigolo.
Et ça montre aussi son habileté (et sa clairvoyance) dans les rapports avec les acteurs.
Le contraire absolu de “l’improvisation totale” (traduisez anarchie, dérive, voire dépravation… ) que certaines plumes mauvaises (souvent mauvaises plumes de surcroît) décrirent à grand renfort de rodomontades qui confirmaient, si besoin était, qu’on s’engageait bel et bien dans une ère marquée par la peur de tout (du différent, de l’étranger, de son voisin, de son ombre et naturellement…de soi-même). Mais je m’égare.
La musique
Il y eut enfin la musique, tout de même.
Là aussi, je savais depuis longtemps que Cyril ne voulait pas d’une musique qui uniformise le film.
Il voulait un patchwork.
Il en a construit un, plutôt beau me semble-t-il.
Je fus dans quelques-uns de ces bouts de mosaïque.
Finalement, j’étais plutôt content de côtoyer Ferré, Damia, Noir Désir, Los Chungitos et… mon vieux pote Cyril !
Il y eut bien quelques rats de maisons de disques (pardon les rats, vous ne méritez pas ça !), louvoyant dans les sphères néo-cinématographiques, qui réussirent à glisser leurs opportunistes museaux dans la production de cette bof, comme on dit. Ils tentèrent même de nous opposer l’un à l’autre.
lorsqu’ils comprirent que je savais négocier un budget de musique de film.
Gonflés, les rongeurs !
Tout ça se termina, le jour de la sortie du film, par un concert où nous fûmes tous réunis (sauf les mulots démasqués par un Cyril qui avait enfin trouvé l’énergie de se pencher sur leur cas), dans une ambiance forte et soudée.
Qui fut une réponse définitive aux sus-cités.
Et surtout une soirée de chaleur dont je me souviens encore.
Les Césars
Je ne compris pas vraiment pourquoi je fus nominé, comme on disait alors, aux Césars, vu que je n’avais que 4 morceaux dans le film, et qu’ils n’étaient pas vraiment au premier plan.
Allez comprendre ce qui se passe dans les commissions : “on” avait décidé que c’était moi le compositeur des Nuits Fauves, et puis voilà !
“De quoi vous plaignez vous ?”, m’a-t-on dit !
Circulez…